RODILHAN, nouveau témoignage
Extrait de Fleur :
Une droguée, une martyre. Une résistante.
Le samedi 8 octobre, un peu avant 16 h, je courais vers le centre de l’arène de Rodhilan pour m’enchaîner pacifiquement avec les autres militants, au centre de l’édifice. Les insultes et hurlements fusaient déjà alors que mon pied touchait le sol et j’apercevais, agenouillée dans le sable, les porteurs de banderoles se faire violemment bousculer, là-haut, dans les gradins. Attachée depuis une minute, j’ai pris le fumigène de mon voisin, l’ai brandi en l’air. Déjà, un quinquagénaire se précipite sur moi en courant et, sans le moindre avertissement, me donne un violent coup dans le poignet pour l’envoyer rouler au loin. Aucun répit : un autre tire un coup sec sur ma jupe, heureusement serrée à la taille, saisit un bout de mon collant qui dépasse pour me l’arracher et me mettre à nue. L’homme ne voulait pas me neutraliser mais bien me déshabiller. Je reçois un violent jet d’eau dans la figure une fois, deux fois, trois fois.
A genoux, non plus pour m’assurer stabilité mais parce qu’il m’est incapable à présent de me protéger autrement alors que des hommes me frappent dans la nuque et le dos, pour me renverser en avant, puis en arrière, je vois mon voisin de gauche avoir le tee shirt arraché et se retrouver propulsé en avant, les bras comme seuls appuis. On tire par le col la femme à côté de moi. Je bascule. Je serre plus solidement mon voisin de droite, qui tente de me protéger comme il peut. Un autre militant à ma gauche reçoit trois coups de poings en rafale, sans sommation. Il ne répond pas aux coups mais crie. Je vois le sang, je l’entends hurler. J’entends que la Police a été prévenue. J’en vois un autre recevoir le jet d’eau puissant à quelques centimètres seulement de son visage, humiliant étouffement qui cherche à le faire suffoquer. Il tient bon, rentre le cou, baisse les yeux. On me pousse, on me tire toujours dans le dos. On m’encercle, on m’insulte mais je ne me retourne plus. Je me fiche plus solidement dans le sable, en serrant toujours plus fort mon voisin.
Les spectateurs nous lancent des projectiles, nous insultent et exhortent nos agresseurs à rendre justice eux-mêmes. On me frappe, encore. On tire sur ma jupe. Soudain, le cercle est brisé. N’ayant plus aucune attache – et donc plus aucune sécurité – je suis trainée une première fois par les pieds par mes assaillants. Un quinquagénaire de la corrida à chaque jambe. Je ne me rappelle plus si je me suis trouvée sur le dos ou le ventre, seulement le contact rêche du sable et les insultes qu’on me hurlait. On me lance violemment sur le sable, les jambes écartées, non loin de l’entrée principale, reconnaissable à ses grandes portes blanches. Je suis encerclée par des hommes qui m’insultent. « Salope ». « Dégage ». J’ai peur qu’on m’entraîne sur le côté et qu’on arrive enfin à m’enlever mes vêtements. J’arrive à me remettre debout et ne songe alors qu’à me protéger. Je cours vers l’arc de cercle de militants qui résistent encore. Naïve, je ne me retourne pas. Je suis poussée dans le dos par un homme grisonnant, au jogging noir. Sur une quinzaine de mètres je sens la pression dans mon dos et je cours en avant, sans pouvoir contrôler mes gestes. Tout va très vite, je tombe en avant, la bouche ouverte sans qu'aucun son ne sorte et me cogne contre Mathieu. Impossible de m’attacher, on m’a enlevé la chaîne. Il passe alors son bras autour de ma taille et je passe le mien autour de son cou, tremblante. Une femme en fourrure, les cheveux auburn, vient m’insulter. Je la regarde mais ne réponds pas. « Sale droguée, sale pute, regardez elle est incapable de parler, c’est une droguée ». Elle prend à témoin une autre femme venue m'insulter et d'autres hommes. Je sens Mathieu qui me sert contre lui alors qu’il est lui-aussi bousculé. On me pose la main sur les épaules, on revient m’insulter. Deux femmes se jettent sur moi, accompagnées d’un matador. « Et tu ne fais rien pour les musulmans qui égorgent les moutons hein connasse ? ». « C’est notre culture et ça, tu n’y toucheras pas ! ». Je vois la Police qui circule dans les arènes mais ne fait rien. Je sens une main agripper ma cheville et me tirer violemment en arrière. Je suis sur le ventre alors qu’une autre main me tient l’autre cheville. J’ai mal. Mon collant se déchire et le sable brûle les lésions sur mes genoux. Je reçois un coup au ventre alors que je tente de ralentir ma course, les doigts enfoncés dans le sable. Un toreador regarde la scène d’un air amusé alors que je n’aperçois plus rien d’autre autour de moi que les jambes des participants à la corrida, m’entourant. A 10 mètres de l’entrée, je me débats. On m’insulte et on me serre plus solidement la cheville. Je tends le bras inutilement vers la cheville de Mathieu, qui, lui, est tenu par les poignets, le torse relevé. Je n’arrive pas à l’atteindre et je vois pendant une seconde ce bout de chaussures comme une planche de salut portée au loin pendant une tempête. On me projette sur le dos, près de la barrière rouge. Je lève les yeux : un gendarme est à côté de moi. Il n’a rien fait. Ou plutôt si, il a laissé les aficionados rendre justice eux-mêmes.
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